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La photographie humaniste :
Il existe une famille de photographes professionnels humanistes et voyageurs : professionnel par nécessité, humanistes par tempérament, voyageurs par curiosité.
Ils proposent des récits photographiques qui parlent de l’humain.
Le photographe professionnel n’est pas forcément meilleur mais plus méthodique et plus expérimenté, donc plus fiable que l’amateur. Le photographe professionnel peut être aussi un amateur qui espère vivre de la photo. Malheureusement, ce métier passionnant est en voie de disparition, parce que trop onéreux pour être bien fait.
C’est un guetteur patient des occasions, des hasards, des imprévus, de la chance.
Les outils qui prolongent ce regard en alerte, en éveil constant, sont un équipement photo adapté à ses besoins et de bonnes chaussures : « bon pied, bon œil ».
Le photographe reporter marche beaucoup et attend patiemment une partie de son temps.
Le photographe de plein air est comme le furet : « il est passé par ici, il passera par là… ».
C’est un simple ouvrier qualifié, un artisan modeste qui se concentre sur son ouvrage avec ténacité.
Il tisse sur son métier avec méthode pour ce qui est du concret technique et réserve la fantaisie pour tout le reste. Ce n’est pas un artiste qui invente la partition ou transforme la matière mais seulement un interprète de ce qu’il voit.
Il réalise l’objet-photo de son choix pour montrer et partager avec d’autres ce qu’il a vu. Il transmet le monde et les gens tels qu’il les a vus et ressentis.
Il est doté, à la fois d’une vision lointaine, large, qui perçoit l’ensemble et d’un regard aigu, proche, qui scrute le détail en gros plan.
Pour bien faire son ouvrage il doit se protéger constamment des modes, des facilités commerciales, de ce qui est excessif et donc dérisoire.
La photographie est :
« une science qui occupe les intelligences les plus élevées, un art qui aiguise les esprits les plus sagaces et dont l'application est à la portée du dernier des imbéciles ; cette surnaturelle photographie est exercée chaque jour, dans chaque maison, par le premier venu et le dernier aussi,. La théorie photographique s'apprend en une heure ; les premières notions de pratique, en une journée »
Félix Nadar
Le photographe humaniste est un modeste guetteur d’humanité qui a comme intérêt central, comme sujet principal, l’humain et son environnement. Il participe par son récit photographique à conserver et transmettre l’histoire de l’Homme. Il raconte l’Homme.
Il doit aller au contacte de l’autre, inquiet, anxieux, curieux des différences et, par-delà, de ce qu’il a de semblable, d’universel. C’est un timide qui a toutes les audaces pour commettre un
« rapt, vol et viol » .
Il participe à l’album de famille de l’humanité. L’Humain est sa boussole.
« L’homme est la référence de toute chose » Protagoras.
Le support est photosensible ; le photographe humaniste doit être psycho-sensible.
Cette réalité, choisie par goût de voir et rapporter est bien sûr localisée, parcellaire, temporaire mais dans son ambition elle tend à exprimer l’Universel.
Quelques unes des meilleurs références : Abbas, Edouard Boubat, Margaret Bourke-White, Alvarez Bravo, Henri Cartier-Bresson, Robert Doisneau, Walker Evans, Josef Koudelka, Dorothea Lange, Henri Lhote, Don Mc Cullin, Reza, George Rodger, Sebastiao Salgado, August Sander, W. Eugène Smith, et bien d’autres photographes moins connus comme Dmitri Baltermants, parfois même inconnus.
« Ce qui s'apprend encore beaucoup moins, c'est l'intelligence morale de votre sujet, c'est ce tact rapide qui vous met en communion avec le modèle, vous le fait juger et diriger vers ses habitudes, dans ses idées, selon son caractère, et vous permet de donner (non pas banalement et au hasard, une indifférente reproduction plastique à la portée du dernier servant de laboratoire) la ressemblance la plus familière et la plus favorable, la ressemblance intime. C'est le côté psychologique de la photographie, le mot ne me semble pas trop ambitieux. » Félix Nadar (1857)
Le photographe voyageur est comme l’escargot qui se déplace lentement et transporte son sac sur son dos ; il en bave aussi, parfois. Il est promeneur autant que voyageur.
Avec son objectif-œil c’est une espèce de Cyclope naïf, curieux, une sorte de gentleman-photographe sans message doctrinaire préconçu, qui s’étonne de tout ce qu’il voit.
En photoreporter, il photo-rapporte ce qu’il a vu, trouvé dans ses déambulations aléatoires pour simplement partager ses découvertes.
Son principal moteur est la curiosité ; c’est un explorateur qui va chercher ce qui est caché au delà de l’horizon, c’est aller aux limites, aux limes, pour ouvrir un passage vers ce qui n’est pas encore connu ; c’est aussi, plus simplement, déplacer un petit caillou pour voir ce qui se cache dessous.
Il voyage lentement, vieux sage sans âge (globe trop-tard) empruntant des chemins de traverse, pour cueillir des visages-personnages, comme des paysages-rivages ou des images-mirages.
C’est un solitaire mais il est rarement seul.
Il ne transforme pas ce qui l’environne comme un sculpteur, un architecte ou un éleveur-agriculteur sédentaire. Il s’apparente au nomade vivant de cueillette et de pêche qui ramasse de petits coquillages sur une plage et les rapporte pour en faire un collier et l’offrir. Son passage ne laisse pas de traces.
C’est un récepteur d’éclats de soleil et de luminosités intenses, un cueilleur de lumières douces et d’ombres sombres, un grappilleur d’instants volatiles, un attrapeur de papillons fugaces.
Comme l’ethnologue c’est un décrypteur de codes, de signes, un découvreur de traces.
Son modèle : Hérodote d’Halicarnasse, géographe-historien grec qui savait observer et recueillir.
Le récit photographique humaniste raconte l’Humain, encore faut-il distinguer le réel du factice et lui donner une forme.
1 - La force de l’image réelle :
- la photo simple du quotidien ordinaire, directe, naïve, non partisane ou engagée mais dégagée.
- la photo modeste des trains qui arrivent à l’heure.
- la photo vraie de faits réels, denses et non faite d’infectes effets d’affect.
- la photo contenu qui a une signification qui raconte quelque chose de l’humain.
- la photo chargée d’humanisme respectueux, tendre, curieux.
- la photo curieuse de tout, qui sait observer l’histoire modeste des gens sans histoires.
- la photo témoignage qui parle des gens de peu, sans importance, les oubliés.
Une « bonne photo » exprime plus que ce quelle représente; elle suggère davantage que ce qu’elle montre ; elle parle de ce qui est hors du champ visuel, elle évoque, elle équivoque aussi.
Certaines photos « habitées » nous impliquent, nous concernent, par l’évocation de souvenirs en provoquant l’imagination, par l’éveil d’un sentiment, par la suggestion d’une idée, par l’étonnement.
2 - La farce de l’image factice :
- la photo sentimentale « gentillette » faite de bons sentiments pour faire pleurer dans les chaumières.
- la photo horreur qui se vend bien, baignant dans le dramatique et l’hémoglobine.
- la photo symbole classée icône, succès mondiale esthétique et souvent fabriquée.
- la photo choc, sensationnelle, spectaculaire, factice, botoxée ;
- la photo à la mode, banale, dérisoire, ennuyeuse, anecdotique, floue, penchée, tachée, mal cadrée ;
- la photo truquée, bidouillée, arrangé, manipulée, transformée.
La photo qui déforme intentionnellement la réalité, relève de la composition originale pour un artiste, mais du mensonge pour le reporter. On ne peut mélanger les deux genres sans fraude.
3 - La forme de l’image-récit :
Elle peut s’analyser, se décomposer de la façon suivante :
- le sujet isolé ou non et la relation du sujet à son environnement.
- le cadrage : regard étroit, moyen, large.
- la couleur ou Noir et Blanc ou éventuellement un mélange des deux.
- la lumière et donc les ombres.
- l’esthétique : harmonie des formes, répartition des volumes, grain de l’image, matière.
- l’instant, le moment où il se passe « quelque chose ».
- l’imprévu, la surprise, le hasard, l’incongru.
- l’atmosphère, l’ambiance, le climat général.
- la magie, le souffle qui, en plus de la simple forme, fait qu’une photo est « habitée ».
Présentation :
« J’ai vu le jour une nuit d’octobre 1942, dans un repli de l’Europe, au creux du Périgord ; depuis lors et jusqu’à mes 75 ans d’aujourd’hui, j’ai pleinement vécu, et très bien vécu, avec beaucoup de chance ; Gracias a la Vida ; mais maintenant que je suis devenu grand père, je sens bien que je commence à encombrer, à être en surnombre et en sursis ; j’ai dû passer ma date de péremption. Il est temps de faire un résumé des chapitres précédents, un inventaire avant la fermeture… définitive. »
Alors voilà :
Vous m’avez demandé (1998) ce qui me procure le plus grand plaisir dans ce métier. C’est la découverte des gens et de leur culture, de leur similitude en tant que personne qui me relie à eux et de leurs différences culturelles qui élargit mon horizon.
Parfois la beauté de la nature ou de certains monuments anciens, parfois la tragique désespérance ou les joies farouches, vigoureusement sensuelles, me tourneboulent, mais ce sont les gens discrets, dans la simplicité de leur quotidien qui me touchent le plus profondément.
J’aime la réalité des gens modestes et j’essaye de les raconter en images sobres. Je m’efforce
d’éviter tout effet valorisant, apologétique, esthétique, touristique, commercial ou tout effet dramatique, militant, politique, moralisateur. Ce ne serait pas mon choix personnel et serait hors de mon propos. Pas de grandiloquence, rien d’extraordinaire, pas de « choc des photos »,
pas d’aprioris généralistes, mais observation, au jour le jour, de leur vie quotidienne ; pas de banalités floues, mais la description aussi fidèle que possible du particulier ; pas de jugement mais observation, constat et, si possible, compréhension.
Je ne cherche pas tant à témoigner d’un instant, d’un moment que d’une durée. Il est difficile de mettre une date précise sur mes photos. Elles sont à la fois du présent et du passé, présentes reliées au passé.
J’aime le « clairvoyant » qui n’est ni bien-pensant, ni malveillant ; la lucidité du témoin dégagé, que je m’efforce d’être, est bien modeste face à l’enthousiasme magnifique du croyant qui prêche.
J’aime la photographie de reportage (rapporter) qui est pour moi intermédiaire entre le vivant tel que le photographe le perçoit, le fixe et le retour à la vie quand, celui qui regarde la photo réagit, éprouve un intérêt, un sentiment, une réflexion.
La photo est le point d’inter relation de la trilogie : sujet / photographe / spectateur, quand l’esprit ou le sentiment ré-habite le matériel capté, le charnel passif.
Par ailleurs, j’ai beaucoup de respect et d’admiration pour le travail des photographes animaliers qui témoigne de qualités exceptionnelles pour un résultat parfois stupéfiant.
J’aimerais aussi témoigner du murmure de l’herbe qui pousse, d’un rêve, d’un souffle, d’une ombre. J’aime la pluie, la neige, le brouillard, la pénombre, l’aube et le s entre chien et loup, le contre jour, le vent, l’allusif. J’aime les heures grises, incertaines, les frontières diffuses entre brume et grisaille. La lueur diffuse, sans lumières franches et sans ombres nettes.
Par contre, je n’aime pas les images trafiquées, fabriquées, à sensation, décoratives, de salon, de studio, publicitaires, de mode, etc. Elles ne partent pas, ne parlent pas du vivant spontané, et leur fonction n’est que de provoquer une envie de consommer, mais l’envie n’est pas la vie. On doit éviter les concours, les prix, les salons de la photo, les magazines photo à la mode, etc. tout ce qui relève du marché de la photographie.
Extrait de la préface au livre « Les Cubains », publié en 2012 :
Ce livre de photos est le récit photographique d’un voyageur curieux, une description personnelle, particulière, d’un humaniste respectueux, qui témoigne de la joie, de la fierté, de la force des anonymes que j’ai rencontrés.
Mon désir est de présenter dans ce livre les gens tels que je les a croisés
au hasard des routes, tels que je les a vus, vivant avec dignité et porteurs d’une culture originale forte.
Je m’intéresse particulièrement aux visages, dans une relation directe, pour en saisir toute l’humanité.
Voyager pour essayer de faire constat de ce qu’il y a d’universel dans l’homme particulier, de ce qu’il y a de général à travers le singulier.
Voyager modestement dans les marges, se promener met en contact avec des personnes dont la rencontre, dans la simplicité de leur quotidien, est parfois difficile, souvent inattendue, toujours enrichissante. Voyager pour le plaisir d’essayer de comprendre les différences et le pourquoi de ces différences. Elles surprennent et séduisent, parfois elles choquent et irritent, mais toujours elles ont leur raison d’être. Voyager avec une distance discrète, dans l’ombre, en photographe dilettante, est un choix,
fait pour le plaisir de découvrir, d’observer et rencontrer des hommes et des femmes qui sont différents de nous par leurs habitudes, leur culture, leur histoire, mais si évidemment semblables dans leur être.
Réflexions :
Etymologie : « Photo graphie signifie : écriture de la lumière. » Dictionnaire Larousse.
Photographie : « La photographie est l’art de fixer durablement l’image d’un objet par l’utilisation de l’action de la lumière sur une surface sensible. » Dictionnaire Hachette.
Photographe : celui qui écrit avec de la lumière. Mais la lumière, cet outil, cette « matière » ne prend sens, n’est transcendée que par la lumière de l’esprit et la sensibilité.
Informer (in former) : donner une forme, réaliser une image, représenter ; montrer pour partager, faire connaître.
Reportage : « Photoreportage s’emploie à propos de la profession de journaliste d’information travaillant avec la photographie. » Dictionnaire Le Robert.
Un cliché : a/ terme d’imprimerie – b/ faire un cliché photo – c/ c’est un cliché, un lieu commun, une banalité.
« On peut décrire ainsi les motivations de l’activité photographique : la protection contre le temps, la communication avec autrui et l’expression des sentiments, la réalisation de soi-même, le prestige social, la distraction ou l’évasion. » Un Art Moyen de Pierre Bourdieu - 1965.
Je ne parle, ici, ni de l’histoire des glyphes, ni du pourquoi de la reproduction du réel en images planes ou relief, mais seulement de la photographie telle que je l’ai pratiquée et des réflexions décousues qui me sont venues pendant les longues heures de voyage et d’attente.
L’outil : Le photographe est un artisan qui utilise un outil composite dans les domaines de l’optique, la mécanique, la chimie, l’électronique et le numérique.
L’outil « appareil de photo », à la portée de tous, est un élément nécessaire mais pas suffisant, comme la plume pour l’écrivain, comme tous les outils. Il fabrique des multiples bons marchés.
L’outil prolonge l’homme. Le choix de l’outil ne doit se faire qu’en fonction de l’usage particulier auquel on le destine et hors de toute influence commerciale de mode et de prix.
L’appareil est un pont, un objet intermédiaire entre deux personnes et qui les lie.
L’appareil est un mur, un objet intermédiaire entre deux personnes et qui les sépare.
Le but : Une photographie est la reproduction partielle d’une réalité inscrite dans l’espace et le temps, c’est la capture instantanée d’une image. Le but est donc de saisir un élément d’une réalité visible passagère pour la transformer en objet photographique fixe, durable, donc transmissible.
« Capture de l’image pour la reproduction, pour la conservation, pour la transmission. » Bourdieu
30 pays parcourus et tant d’autres que je n’aurais pas le temps et le plaisir de connaître.
Autrement dit, le but est de conserver une trace visuelle, une emprunte exacte et permanente d’une vision furtive et partielle, pour témoigner de son existence dans le futur.
La photo reflète, transmet une réalité du monde alors que l’informatique est un monde en soi qui prend son indépendance du réel.
La réalité : La photo relève du paraître et non de l’être.
Une photo n’est pas le réel : c’est une image représentant une part du réel, c’est une apparence (illusion?) limitée dans l’espace (cadrage) et le temps (instant) par le photographe (choix).
Elle tente de traduire, de réduire le réel en deux dimensions mais, en dehors de sa propre réalité d’objet/image, elle n’est pas une réalité. C’est du visuel, du virtuel.
En ce qui concerne la photographie, il faut savoir garder de la distance, du recule avec modestie. C’est essayer humblement de montrer une réalité telle qu’on l’a perçue.
La photo est à la vie ce que la carte est au territoire : une transcription.
Comme le miroir elle capte une image, c’est un reflet instantané et congelé du réel vivant.
La photo est une empreinte singulière figée transmise telle quelle ; comme une emprunte de pas préhistorique dans la boue témoigne du vivant passé.
Mais le « singulier » n’est pas forcément anecdotique et peut tendre au général. L’homme particulier peut nous dire l’homme universel. Cette réalité humaine que l’on a choisie de saisir et rapporter est bien sûr localisée, parcellaire, temporaire comme toutes les réalités, mais dans son ambition elle peut tendre à exprimer de l’Universel.
Pourquoi un portrait en noir et blanc parle t’il davantage que le même en couleur? Une photo de nu, en noir et blanc, peut être plus érotique que la même en couleur. Peut être parce que la couleur, qui est plus réaliste, détourne l’attention visuelle de ce que transmet le visage ou le corps, de plus important au point de vue psychologique ou émotionnel. Le noir et blanc fait davantage appel à l’imaginaire parce qu’il est dégagé de l’accessoire couleur ; et l’imagination peut donner plus de force, de densité, d’intérêt à l’image. La meilleure photo est celle qui montre ou celle qui provoque l’imagination ? C’est le problème du rapport entre la réalité et l’imaginaire.
L’art : c’est rendre sensible (visible, pour la photo) une part d’immatériel contenue, cachée en chacun de nous, pour mettre en résonnance l’artiste-producteur qui s’exprime et l’autre-récepteur qui perçoit.
Une photo de reportage n’est pas une création (artistique) ; le photographe n’est pas un artiste.
Il y a choix mais il n’y a pas création, il y a interprétation, perception, mais pas invention, intervention.
« La photographie est le résultat d’un choix volontaire, d’un tri conscient opéré dans la perception. » R. Castel. C’est le choix qui fait le photographe (du sujet, du lieu, du moment) et sa sensibilité qui fait son talent (comprendre le sujet). La photo de reportage n’est que partiellement objective et plus ou moins subjective sans qu’on puisse comparer l’apport de l’auteur d’une photo à celui d’une sculpture ou d’une sonate qui sont création à partir de l’inexistant.
« Comme l’œuvre d’art, la photo exprime l’époque, le milieu professionnel, la classe sociale.» Bourdieu.
Le photographe est plutôt un interprète de la partition écrite par la réalité visible qui l’environne. Il ne crée pas comme le compositeur, mais interprète comme le musicien.
C’est au plus un art mineur qui gagnerait à rester un art modeste ; ce qui est, trop souvent, oublié par l’industrie et le commerce de la photographie. Un art outil, « Un art moyen ».
C’est « une mise en forme d’empreinte, soit un compromis entre création et reproduction. » Régis Debray
Le photographe ne se projette pas « agressivement » comme le sculpteur contre le bloc de marbre. Il est réceptif sans être passif et doit rester discret, modeste, invisible autant que possible. Les expressions « chasseur » d’images « armé » d’un appareil photo« chargé » d’une pellicule ont une connotation agressive impropre au reporter photo qui n’a pas d’autre intervention que sa présence en temps et lieu choisis et qu’il essaye de la faire oublier.
Le reporter s’apparente davantage au pêcheur ou au cueilleur de champignon : sauf hasard, on ne trouve que si l’on cherche en allant où et quand il faut avec méthode. C’est un travail systématique de patience, d’observation et d’astuce aussi parfois.
On ne voit vraiment que ce que l’on regarde intentionnellement. Il choisis le sujet, son environnement et l’instant, ce qui induit anticipation et préparation, ce qui est plus en relation avec l’artisan qu’avec l’artiste. D’ailleurs, « la beauté est dans les yeux » Jacques A. Bertrand.
Si, pour s’exprimer, il savait écrire avec simplicité, clarté, sensibilité, il ne ferait, peut-être, pas de photos.
Toutefois, ce qui peut donner exceptionnellement un intérêt à la photo est sa faculté de s’élever du particulier minuscule et tendre à l’universel ; c’est à dire s’échapper du local à un instant donné pour s’inscrire dans le général et la durée. C’est l’image symbolique.
L’esthétique pour l’esthétique (le Beau), c’est une façade décorative plaquée sur du vide.
« Ce qui ne s'apprend pas, je vais vous le dire : c'est le sentiment de la lumière, c'est l'appréciation des effets produits par les jours divers et combinés, c'est l'application de tels ou tels de ces effets selon la nature des physionomies que vous avez à reproduire. » Félix Nadar
Notes :
Vu sur un bar : « interdit aux chiens, aux mères de famille et aux photographes ».
Un faux-tographe.
Pour les vedettes médiatiques, les photographes sont comme les femmes de ménage : on ne s’aperçoit de leur existence que lorsqu’il n’y en a pas.
La photo est une allusion d’optique qui évoque (équivoque) plus qu’elle ne décrit.
Le reporter doit maîtriser l’instant, l’urgence, la vitesse mais surtout l’attente et la lenteur.
Le hasard est la cerise sur le gâteau du photographe, pour les vrais gourmands.
L’incongru dans la photo est à la réalité ce que les épices sont à la cuisine : un supplément de goût. ( incongru : surprenant, inhabituel, insolite, curieux).
Le parfait de l’objectif est au service de l’imparfait du subjectif.
Une photo peut représenter, présenter à nouveau, une réalité par son image ou un concept symbolique par sa figuration (idolâtres, iconoclastes, … ).
Le dernier jour de la création en noir et blanc, Dieu créa la couleur pour que ça ait l’air moins triste !
Distance, en ce qui concerne la critique des marchands, des critiques mondains qui, ne sachant pas faire de photos, ne font qu’exprimer le marché et la mode dérisoire du moment ; Rejeter l’opinion de celui qui fait le Mainate chez Haut-parleur.
Méfiance vis à vis de la photo « qui dénonce », qui prend une posture moralisante, (au nom de qui ou de quoi ?). La photo montre mais elle ne démontre pas, d’autant plus qu’on peut facilement la faire mentir par une interprétation frauduleuse. La photo accepte trop facilement d’être le support de nos propres projections. Il faut remettre la photo « en situation », dans son environnement réel d’origine, son contexte large géographique et historique, pour qu’elle prenne sens.
Quelle est la relation entre l’ombre qui cache et la lumière qui aveugle ? L’image photo est le fruit de l’accouplement des deux dans la pénombre.
Toujours, écarter tout ce qui dévie de la vie réelle : l’esthétisme, le commercial, le bidonnage, etc ….
« Celui là je le reconnais, mais les autres ne me disent rien ». La grande majorité des gens ne s’intéressent qu’au sujet photographié et pas à la photo en tant que telle. Ils préfèrent une mauvaise photo d’un imbécile qu’ils reconnaissent à une remarquable photo d’un personnage exceptionnel qu’ils n’ont jamais vu.
Le plaisir de faire une photo serait incomplet sans, en fin de parcours, le plaisir de partager en l’offrant au regard et à la sensibilité des autres.
Conclusion : « Non seulement fixer de fugitifs reflets est une impossibilité, comme l’ont démontré de très sérieuses expériences en Allemagne, mais le vouloir confine au sacrilège. Dieu a créé l’homme à son image, et aucune machine humaine ne peut fixer l’image de Dieu. Il faudrait trahir tout à coup ses propres principes pour permettre qu’un Français, à Paris, lançât dans le monde une invention aussi diabolique. » Un journal catholique allemand en 1839.
FIN
Éditions Flammarion - éditions Hermés - épuisé